« N’allez pas imaginer que gouverner est une partie de plaisir ! Bien au contraire, c’est une lourde responsabilité, qui demande une profonde abnégation. Personne ne croit davantage que le camarade Napoléon que tous les animaux sont égaux. Il serait trop heureux de vous laisser prendre vous-mêmes les décisions qui vous concernent. Mais, il pourrait vous arriver, camarades, de faire de mauvais choix… Et où cela nous mènerait-il ? »
La Ferme des animaux [Animal Farm], publié en langue anglaise en 1945, est l’un des livres les plus célèbres de George Orwell (1903-1950). Dans cette fable, l’auteur de 1984 et d’Hommage à la Catalogne décrit une révolte qui aboutit au renversement du fermier et à la prise du pouvoir par les animaux. Rapidement, le rêve égalitaire d’harmonie et de justice cède la place au doute puis au désarroi à mesure que se recrée une autocratie dirigée par les cochons, lesquels vont rapidement s’entretuer pour la place de chef et tyran.
« J’ai conçu La Ferme des animaux avant tout comme une satire de la révolution russe. Je souhaitais qu’on en tire la morale suivante : les révolutions ne produisent d’amélioration radicale que lorsque les masses sont en alerte et savent congédier leurs meneurs dès que ces derniers ont fait leur boulot. »
Presse : Magazine littéraire Nuit blanche (no. 164, automne 2021)
Avant l'entrée d'Orwell à la Pléiade en 2020, la principale traduction disponible de cette célèbre satire de la révolution russe était signée Jean Queval, un des cofondateurs de l'OuliPo. Le travail de Queval était fidèle à l'esprit du texte original, mais s'éloignait de son style, que l'écrivain britannique avait voulu simple à l'extrême. Au lieu de l'enjoliver comme l'avait fait Queval, Philippe Mortimer a décidé de lui restituer sa sobriété. L'histoire est archi-connue. À la Ferme du manoir de M. Jones, quelque part en Angleterre, le vieux verrat Major s'adresse aux autres animaux après avoir rêvé à la disparition de l'être humain. Il leur explique que tous leurs maux naissent de la tyrannie de l'homme et les pousse à l'insurrection. Quelques mois plus tard, trois cochons développent un système de pensée appelé «animalisme» et propagent des idées révolutionnaires lors d'assemblées clandestines. Ils doivent d'abord rivaliser d'influence avec Moïse, le corbeau apprivoisé, qui leur vante les beautés d'un paradis animalier, «la Mon tagne de sucre candi». Après que de récentes négligences de M. Jones eurent affamé les animaux, le soulèvement éclate. Très vite, les bêtes prennent le contrôle de la ferme. Des commandements sont émis, le travail est organisé, c'est la jubilation devant la liberté conquise. Les porcs ne tardent pas cependant à s'octroyer certains privilèges et les règles sont bientôt travesties au profit de l'élite porcine... Cette nouvelle traduction vient à point. Mortimer a conservé les noms originaux : les cochons Sage l'Ancien, Boule de Neige et Brille-Babil redeviennent Major, Snowball et Squealer, les chiens Filou, Fleur et Constance sont plutôt appelés Pincher, Bluebell et Jessie, les chevaux de trait Malabar et Douce reprennent leurs noms de Boxer et Clever, et ainsi de suite. L'effet d'authenticité s'en trouve accru. Squealer, par exemple, signifie «délateur» dans l'argot du lumpenprolétariat cockney. Autre plus-value de cette édition : son péritexte (avant-propos, notes infra paginales, annexes), optimisant son utilisation dans une classe de philosophie ou d'histoire. Ce n'est pas le seul classique d'Orwell dont s'occupe le microéditeur montréalais. Il avait proposé en 2019 une nouvelle traduction de 1984 faisant contrepoids à celle, controversée, parue l'année précédente chez Gallimard.
Patrick Bergeron